Je ne sais pas pourquoi, mais je
ne la sentais pas cette frontière entre la Bolivie et le Paraguay. J’avais beau
chercher sur internet, rien, le néant, pas une seule information. Même
localement, les renseignements sont souvent contradictoires. Seul l'excellent blog de Sarah traite de ce passage (et encore, dans l'autre sens et de 2010) qui
s’annonce pour le moins compliqué. (http://www.leblogdesarah.com/l-horrible-passage-du-paraguay-en-bolivie-entre-punaises-moustiques-et-flicsripoux/)
Il parait que voyager permet de s’évader mais je ne savais pas à quel point je prendrai cette expression au pied de la
lettre...
L’itinéraire théorique :
De
Sucre, je dois prendre un bus jusqu’à Villamontes (15h00 de trajet) où
j’arriverai dans la matinée. Là, je poireauterai la journée, la soirée et une
partie de la nuit pour chopper un nouveau bus qui doit passer dans
cette petite ville le lendemain entre 2h00 et 3h00 du matin. Une quinzaine
d’autres heures plus tard, j’arriverai à Asuncion, capitale du Paraguay. Voilà
c’est aussi simple que long.
Quant aux postes de douanes de sortie et d’entrée,
je ne sais pas où ils se situent exactement, mais toujours selon le blog, ni
l’un à côté de l’autre, ni sur la ligne frontière. Je verrai cela plus tard, de
toute façon j’ai toute la journée d’attente à Villamontes pour trouver mes
réponses et j’imagine que le bus à l’habitude de ces arrêts aux
stands.
C’est donc plutôt confiant que j’entame mon périple, et même satisfait
d’avoir négocié le prix de mon billet de bus moins cher que celui du bolivien
assis à côté de moi !
Arrivée à
Villamontes ... A pieds !
Départ vers 18h00 de Sucre. Les heures
s’enchaînent. Je réussis même à dormir
dans le bus, c’est dire si cette première étape se déroule tranquillement. Dernière
ville Bolivienne à 150 km de la frontière paraguayenne, Villamontes s’est
développée rapidement grâce à la
découverte récente de pétrole. Près de 40000 habitants habitent aujourd’hui
cette commune très étendue restée à
l’état de village : la quasi-totalité des rues sont en terre battue,
presqu’aucun immeuble, des maisons de terre et une grande et large artère
divise la ville en deux pour faire passer les camions citernes. Rien de bien
touristique dans cette ville étape.
Pour manifester contre une décision du
Gouverneur de la Province toute la
population de cette ville est en grève depuis une douzaine heures. Tous les
accès d’entrée et de sortie sont bouchés par des camions et des barricades de
terre et de pneus ! Des files de camions, quelques bus, et de rares voitures
patientent dans les deux sens tranquillement ! C’est à 6 kilomètres de
Villamontes que notre bus coupe définitivement le moteur. Je ne dois surtout
pas m’attendre à une aide de qui que ce soit : chacun fait face aux aléas,
ainsi soit-il.
En route pour 6 kilomètres de marche ! |
Il faut bien imaginer
l’Est de la Bolivie : les communes ne se touchent pas, et entre chaque
ville ce sont 100 ou 200 km de terre
désertique. Impossible de faire marche arrière, la grève est à durée illimitée,
nous sommes vendredi ... Pas d’autre choix possible que de rejoindre la ville à
pieds, et c’est avec tous les autres voyageurs, (que des locaux à une exception
près : une touriste polonaise) que j’entame cette randonnée improvisée
sous une chaleur accablante.
Hommes, femmes enfants, une longue retraite sur une
route toute droite. Personne ne rouspète, personne ne s’énerve, chacun marche
en silence, parfois en portant de gros et lourds sacs de marchandises. Quelques
scooters prennent en charge les plus faibles ou les plus chargés. Il y a même
une atmosphère de bonne humeur dans cette transhumance : chacun est dans
la même galère, les bouteilles d’eau circulent, des marchands ambulants
proposent glaces et autres rafraichissements. Il flotte des odeurs de barbecue
et les routiers font leur sieste à
l’ombre sous leur camion. La route s’est organisée comme un petit village prêt
à tenir le siège.
Welcome in Ghost-town !
Si
finalement cette promenade est sympathique, j’arrive dans une ville MORTE. Une
image incroyable ! Aucun véhicule ne circule dans la grande avenue
principale, je marche au milieu de la route, tous les commerces sont fermés, et très peu de
gens dehors (surtout du fait de la chaleur) : je me crois dans une ville
fantôme d’un Lucky Luke ! Quelques hommes attroupés aux ronds-points (tous
bloqués par les vans) vérifient que le blackout est bien respecté.
Heureusement,
il reste toujours quelques restau de rue ouverts (cad un réchaud pour cuisiner
et quelques sièges en plastique sous un parasol) et l’alojamiento (hôtel local
bas de gamme) de la gare routière est ouvert : manger, me doucher, me
reposer. Les besoins basiques sont toujours les meilleurs !
Je tente bien
durant l’après-midi de faire un tour dans le « centre-ville » (que je
ne réussis pas vraiment à localiser) mais j’avoue que je ne suis pas très motivé
pour faire du tourisme sous cette chaleur étouffante où même la lumière est
brûlante.
Précision importante : Je
crois que c’est durant cet après-midi que je décide de quitter cette ville coûte
que coûte. C’est complètement stupide mais j’en fais une affaire
« personnelle ». Je ne sais pas pourquoi mon cerveau a déraillé à ce
moment et d’ailleurs je ne m’en suis pas
rendu compte. Je NE VEUX PAS rester dans cette ville. A partir de ce
moment je deviens
« incontrôlable », je m’identifie inconsciemment à mes héros :
Je suis Steeve Mac Queen dans « La grande évasion » ou dans
« Papillon ». Je suis Clint Eastwood dans « l’Evadé
dAlcatraz ». .
Je suis surtout très con... Bref je suis Rambo.
Rien à
espérer en cet fin d’après-midi. Les quelques informations glanées sont
pessimistes : le gouverneur est à La Paz et les habitants inflexibles.
D’ailleurs, le soir la population se rassemble aux axes stratégiques de la
ville pour discuter, écouter les dernières informations à la radio et voter
ensemble la poursuite de la grève. Un premier barrage bloque la route vers le
Paraguay, puis un deuxième 6 km plus loin. L’idée est d’arriver demain matin
assez tôt au deuxième barrage à pieds pour voir si des véhicules font
demi-tour... En fait, ce plan ne verra jamais le jour.
Je veux, je dois, je sortirai, c’est la guerre mon général !
Une nuit plus courte que prévue ...
« Fabrice, réveille-toi...
Ecoute.... Des bruits de moteurs dans la rue, qu’est-ce qu’on fait ?».
Il est deux heures du matin. C’est la Polonaise qui me réveille. (Et pour
répondre à la question sous-jacente : non, elle dort dans le lit d’à côté.)
Effectivement des camions circulent dans
la rue. Je me lève d’un bond. « Fais
ton sac, on va voir ! » l’hôtel m’informe que les barrages sont
levés pour une heure seulement cette nuit.
Nous voici sac au dos dans les rues
de Villamontes ... Mais pas de véhicule dans le sens Paraguay! Les derniers camions
vont côté opposé ou direction Argentine.... C’est mal barré ! Pas de
lumière, le silence revient doucement, les rues sont désertes. Seuls deux
Boliviens nous regardent en sirotant leurs bières près de leur véhicule... Un véhicule...
Le premier plus âgé et
complètement bourré semble être un chef d’entreprise de BTP local. J’ai du mal
à le comprendre du fait de l’alcool, de l’accent bolivien et surtout de sa
bouche pleine de coca. Le seul truc que je comprends, c’est que sa fille fait
des études de médecine, qu’elle doit se rendre en Europe, et qu’il recherche un
contact pour l’aider sur place... Bien évidemment que je serai enchanté d’être
cette aide...
Le second, plus jeune et moins bourré, est l’un de ses aides de
chantier. La discussion s’engage bien évidemment sur le comment quitter la
ville... Selon eux, il existe un passage libre à travers champs et
bois qui permet de regagner la piste « officielle » après le second
barrage. Je me montre aussi intéressé qu’Ana est apeurée : pas question
pour elle de monter dans un véhicule avec deux inconnus bourrés en pleine nuit à travers bois. A vrai dire, elle
n’a pas non plus le choix puisque qu’elle a encore moins le courage de
retraverser la ville seule pour rejoindre l’hôtel. Simplement Juan nous précise
qu’il doit changer de véhicule puisque celui-ci n’a plus d’essence et qu’il en
a un autre avec le plein (une citadine pas du tout adaptée pour la piste...)
Mais
les vraies questions sont sur le « après » : il reste environ 90
km jusqu’à l’éventuel poste ou tamponner le passeport pour la sortie de
Bolivie, puis 60 autres km jusqu’au poste d’entrée du Paraguay. Et il restera quelques heures d’une route
vierge de véhicule pour espérer rejoindre le premier village Paraguayen.... Cà
fait beaucoup de kilomètres à parcourir sans véhicule sur des routes fermées !
Par
définition, on verra le après après. Derrière, la polonaise répète
inlassablement qu’elle veut faire demi-tour... (Mais elle va la fermer sa grande g..... ?!)
Je suis à côté du
chauffeur bourré et redresse régulièrement son volant ... Et effectivement,
nous rejoignons la piste « officielle » juste après le second
barrage. Il s’arrête pour soulager sa vessie et je profite de cet arrêt pour
m’installer à sa place ! Une négociation commence : je veux
conduire, car il n’est vraiment pas en
état ... Bien évidemment, je lui certifie que j’ai un permis international, que
la boite automatique n’a pas de secret pour moi, que je serai heureux de
recevoir sa fille à Paris pour ses études itout itout ... En guise de
négociation, il finit par ...s’endormir ! Et le deuxième derrière ne
bronche pas, je crois qu’il est heureux de me voir au volant .... C’est
dire ! Ce silence vaut pour moi consentement.
Mon rallye-raid...
Voilà comment je me retrouve, en pleine nuit, au volant d’une Mazda orange immatriculée 2490
KXD bien pourrie, avec deux boliviens endormis, une polonaise apeurée, mon
téléphone en GPS, pour 2h30 de piste ou
les rochers touchent régulièrement le chassis et sans jamais croiser un seul
véhicule. Le tout pour rechercher dans environ 90 km un putain de poste
douanier pour le tampon de sortie de Bolivie, et sans savoir ce qui se passera
après.
Pourvu que je ne crève pas. Pourvu que mes deux lascars ne se réveillent
pas. Pourvu qu’il n’arrive rien au véhicule, pourvu que je trouve ce poste à
tampon. Pourvu que ... Pourvu que ... Au moins, durant la route, ma
Polonaise est devenue silencieuse et c’est déjà beaucoup.
Deux heures se
déroulent à peu près tranquillement. Parfois je dois m’arrêter, descendre et
regarder ou je vais passer tant la piste est défoncée. Vers la fin, elle
redevient à peu près normale, et je peux rouler un peu plus vite .... Jusqu’à un
barrage tenu par des militaires ! Merde !Je m’arrête, le jeune
militaire n’en croit pas ses yeux en regardant dans le véhicule et en me
demandant les papiers. Je lui réponds simplement : « Frances, por
favor » (Je suis Français... S’il
vous plait) en lui faisant un clin d’oeil fatigué. Il me répond
simplement : « pasa, buen viaje » (passe, bon voyage) sans insister sur les papiers...
Ouf !!!!
Bien sur, ce n'était pas cette piste, mais au mieux, c'était cela, avec des pierres et plus étroite . |
Quelques kilomètres plus loin, un terrain vague,
un panneau « control aduana boliviana »... une espèce de cahute
fermée. Personne. Un camion dormant stationné. Aucune lumière, le jour ne s’est
pas levé et c’est tant mieux. Ma seule crainte est le réveil des deux lascars,
mais ils dorment à poings fermés. Je me gare, sors les sacs à dos. La cahute
s’éclaire, la porte s’ouvre, un gars en tongs, caleçon et marcel se frotte les
yeux. Visiblement je l’ai réveillé. Je lui explique que je veux faire tamponner
nos passeports pour la sortie de Bolivie : pas de soucis, il m’invite même
à réveiller le chauffeur du camion pour faire le sien en même temps ! Ce
que je ne manque pas de faire ... Pour mieux insister sur le fait que nous
devons monter dans son camion pour qu’il nous mène à la frontière Paraguayenne.
OK, mais pas plus loin, il n’a en principe pas le droit. Je retourne auprès de
la Mazda, je glisse un billet et les clefs du véhicule dans la poche de Juan
toujours endormi, nous grimpons Ana et moi dans le camion... Direction
frontière Paraguay !!! Yalaaa !
Le camion qui sort de nulle part...
La route est redevenue normale, elle
est même goudronnée. Dans le camion, je ne peux pas m’empêcher de regarder dans
le rétroviseur ... En effet, quelques minutes plus tard, au loin j’aperçois ...
La Mazda orange qui dans la même direction !! (Mais pourquoi n’est-il pas
retourné sur Villamontes ???) J’ai juste le temps de dire à la Polonaise
de se baisser, ce que je fais aussi, et la Mazda nous double sans nous
voir... 30 minutes plus tard, rebelote,
nous la recroisons qui repasse dans l’autre sens. Visiblement, il nous cherche.
Le chauffeur Argentin, lui se marre de la situation sans rien me demander.
La
mazda roulant à présent dans le sens inverse, je suis plus tranquille lorsque
nous arrivons au poste frontière du Paraguay. Durant tous ces trajets, à part
nos lascars, nous n’avons croisé aucun véhicule. La route est vraiment déserte.
Le camion s’arrête à la frontière mais ne veut absolument pas continuer à nous
prendre. C’est de rage que je le vois s’éloigner....
Le bus qui sort de nulle part...
Au poste frontière, les
mecs sont autant interloqués qu’hilares de nous voir en nous demandant d’où
l’on vient et ou on va ! En deux jours, ils ont vu passer 1 bus (hier) et
un camion (notre argentin). L’attente risque d’être longue !! Ils nous
offrent café et à manger ! Super sympa !!
J’ai les yeux fixés sur la
route, pas un seul véhicule, dormir au poste de douane ne m’enchante pas, il
n’est que 6h00 du matin. Toute la journée à attendre là un miracle ... Qui se
produit ! Au loin je vois un Bus ! UN BUS va passer ! Une
dizaine de locaux dedans... Je ne sais pas comment il a franchi Villamontes, mais peu importe !
(J’imagine qu’un bus local a plus de facilités qu’un bus
« touristes ».) Peu importe où il va, nous monterons dedans. Même les
douaniers n’en reviennent pas ! Au moment de tamponner l’entrée sur mon
passeport, le mec me regarde en souriant avec un : « Bienvenido en
Paraguay ! »
Enfin la frontière Paraguay. Il ne reste plus qu'à attendre un miracle. |
Le bus va jusqu’à Asuncion. A vrai dire, il n’y a pas vraiment
de ville entre la frontière et la capitale. C’est reparti pour une quinzaine
d’heures de bus pour enfin arriver à destination. Opération réussie ! Même
si le chauffeur nous a fait payer beaucoup plus cher que la normale. Nous
arriverons dans la capitale en pleine nuit.
Bien qu’incroyable, toute cette histoire
est vraie : La Mazda, la route infernale
avec les deux mecs bourrés qui finissent par dormir, les militaires, le premier
poste frontière, le camion argentin, la frontière paraguayenne, le bus sorti de
nulle part.
Bien sûr que les risques pris sont complètement inconsidérés :
les deux boliviens auraient pu avoir l’alcool agressif, j’aurai pu casser la
voiture, me faire arrêter par les militaires (pas de papier, pas mon véhicule
et pas l’assentiment clair du propriétaire...), ne pas trouver le premier poste frontière,
la chance du camion, la chance du bus.) Je préfère me moquer de moi-même
et analyser pourquoi j’étais dans cet état d’esprit.
Mais ça restera un
grand souvenir épique !
Depuis, je me repose à Asuncion qui n'est vraiment pas une belle ville mais dans un hôtel vraiment sympa.
Punaise...l'écrit est encore plus flippant...
RépondreSupprimerJe persiste et signe : tu as été complètement fou sur ce coup là.
Ma parole, tu as oublié de faire ton DU avant pour évaluer les risques ! ;o)
Bon tout est bien qui fini bien...avec beaucoup de chance effectivement.
Et puis...bravo encore pour cette qualité d'écriture qui nous plonge tout droit dans un roman policier à suspense !
Quelle aventure... de quoi écrire le prochain Indiana Jones (et je suis sûre que tu trouveras un titre original)
...donc, actuellement tu es Asuncion, pour combien de temps ?.Combien de temps restes-tu au Paraguay ?. Prochaine étape..l'Argentine. Mon désir est grand de te voir quitter cette région où la sécurité laisse à désirer !!
RépondreSupprimerpapou
Remarque quand tu reviendras dans le ch'nord, tu seras hyper au point pour aller chercher un gaufre en Belgique... car bientot on devra faire valider son passeport avec heure d' entree et heure de sortie voir l heure de digestion des gaufres et des frites belges... pour passer la douane. .. oui je ne sais pas si tu es courant mais le 22 mars 2016 à Bruxelles est l equivamence du 13 nov à Paris...!!!avec autant de deglingués cérébraux de chaque coté de la frontiere...normal c est la.meme equipe...Dans quel monde vit on... !!!!
RépondreSupprimerQuel Lamenture ! Un road movie bien sympathique, prend soin de toi et bonne route
RépondreSupprimerHello Senor! Apparament ya pas que moi qui bouge!...enjoy! ps: envoie moi un mail.
SupprimerJ'aurai pas du lire ton blog avant d'aller me coucher...Je les sens pas les 2 mecs dans la mazda... tu t'en es bien sorti.
RépondreSupprimerJe t'imagine au milieu de la route déserte et poussiéreuse à Villamontes sur une musique d'Ennio Morricone, avec un poncho... Aïa ïa Poin Poin Poin... Tu as eu de la chance de rencontrer des bons truands pas trop brutes avec, qui plus est, un monture assortie à ton sac à dos ! Un épilogue heureux à ton caprice de cow-boy.
RépondreSupprimerC'est pas tout ça, mais je ne suis pas en avance ; je te rejoins en Argentine dans l'édito suivant pour de nouvelles aventures.
Bisous