Le quotidien fourmille d’anecdotes qui prêtent à réfléchir. Avec mes
amis, nous sommes attablés devant notre assiette locale à 1,5€. Au cours du
repas, nous nous apercevons qu‘un local paye un peu moins cher que nous la même
assiette... Mes amis sont scandalisés alors que je ne suis pas plus choqué que
cela et le débat s’engage... Ce repas a autant nourrit nos estomacs que nos
réflexions de voyage !
La position de mes amis (le même
prix pour tout le monde) est très facile à soutenir. En France, cette règle est
légale: elle correspond à notre idée d’égalité. Le tarif doit être affiché
clairement et il est le même pour tous. Je suis le premier à la défendre en France... Alors pourquoi ce qui me
parait cohérent en France ne l’est plus à l’étranger ?
Mon point de vue est plus
complexe à défendre. Je ne m’aventurerai pas sur le terrain de la différence de
niveau de vie : il n’est pas question d’adapter le prix en fonction de
chaque pays. Néanmoins, la différence entre le revenu français et indonésien
est telle (dix fois supérieure) qu’elle rend caduque tout grand principe
théorique devant le pragmatisme et l’opportunisme local.
Le prix et la valeur
Chez nous, un prix est calculé
selon une règle schématique (prix de revient + marge + tva) qui
respecte des règles économiques, financières et fiscales. Le prix et la valeur
sont complètement dissociés : le prix reste fixe quelle que soit la valeur
que j’accorde à un bien. A titre personnel, je n’achète pas un jeans de marque
à 200€ parce que je ne lui reconnais pas cette valeur.
Dans de nombreux pays d’Asie ou
du Maghreb, c’est culturellement l’inverse : la valeur accordée à un bien fixe le prix. Le marchandage consiste à
trouver (ou pas) le dénominateur commun
entre la valeur reconnue par l’acheteur et le vendeur afin d’établir le prix
définitif.
Dans l’exemple du prix de
l’assiette, nous n’avons pas négocié le prix. Dès lors que nous l’acceptons,
c’est qu’il nous apparait que ce repas vaut
1,5€, et pour moi, inutile de regarder dans l’assiette du voisin pour me
satisfaire de mon propre déjeuner...
Mais de quelle valeur s’agit-il ?
« Mon estomac sur
pattes » voyage maintenant depuis 8 mois, ma nouvelle unité de référence
est devenue la valeur moyenne d’un repas classique. Je compare alors tout autre
achat en fonction de cette valeur : Une nuit vaut 6 repas, une course de
quelques kilomètres en taxi
vaut 5 repas (mon estomac préfère alors les 5 repas et faire
fonctionner mes pattes !)
Cette référence locale permet de
rester raisonnable ... Et lorsque je veux me faire plaisir, je convertis en
euros ... Pour m’apercevoir que c’est également raisonnable ! Je crois que
chez moi, c’est l’estomac qui réfléchit...
La négociation est un jeu...
Pour les hôtels par exemple, la
meilleure stratégie est de me rendre directement dans une guesthouse sans
réservation et de visiter la chambre avant parler prix. Puis de préciser que c’est pour deux ou trois
nuits, que je paye tout de suite en liquide la totalité de mon séjour en
tendant ostensiblement la valeur exacte en liquide... Le propriétaire a du mal
à ne pas les saisir... Le prix réel se situe généralement entre -20 et -25% du
prix en ligne, sachant que l’hôtelier reverse déjà 15% au site de réservation en
ligne et qu’un client sans réservation de perdu est un manque à gagner
définitif, du moins en basse saison.
Pour les tuk tuk ... C’est le
contraire, je ne négocie pas. Je donne mon prix pour la course, et laisse au
chauffeur simplement quelques secondes pour me dire s’il est d’accord ou non...
Généralement, le chauffeur commence ses jérémiades auxquelles je coupe court en
m’en allant.... Il finit la plupart du temps pour me rattraper et accepter mon
prix.
Les « arnaques » en voyage
Que celui qui ne supporte pas de
se faire un peu « avoir » reste tranquillement chez lui sans
voyager, et encore moins en Asie ! A Bali, je me suis fais roulé en beauté
dans la farine pour avoir acheté un billet d’entrée (dans un bureau prévu pour) pour visiter des rizières... sans droit
d’entrée !
En dehors de cela, pour les
locaux tous les petits mensonges et les combines sont permis :
·
Je ne demande
jamais une direction à un chauffeur de taxi ou de tuk tuk : autant
demander à un croque-mort de soigner les patients !
·
Quand le chauffeur de taxi m’indique que je me
dirige à pieds dans un quartier de mafia... Je lui réponds généralement en
souriant qu’il y aussi des loups dans ce quartier.
·
Il est coutume de faire des offrandes aux moines
qui passent (Laos). Les riverains n’hésitent pas à vous mettre entre les mains
un paquet de biscuits pour que vous les offriez. Bien évidemment, ils vous
réclameront ensuite de payer le paquet.
·
A Hanoï, beaucoup d’hôtels portent le même nom.
Le chauffeur de taxi n’hésitera pas à vous conduire dans l’hôtel qui
l’intéresse et qui n’est pas celui que vous souhaitez.
·
Toujours faire confirmer deux fois de façon
claire tous les détails (le prix, petit déjeuner inclus ...) avant de
payer : les failles seront toujours exploitées à votre désavantage.
·
Je l’aime bien celle-là : « Il y a du
wifi ici ? » ... Oui. Et
une fois payé ... « Mais il marche
pas aujourd’hui ». (Toujours le tester avant)
·
Quel que soit l’endroit où je gare mon scooter,
il y aura toujours un local pour tenter de me convaincre que c’est une place de
parking payante et qu’il est justement chargé de recueillir le paiement.
·
Un local connaît toujours un ami/famille en France proche de là
où j’habite !
Beaucoup plus dangereux :
la personne capable de vous donner le nom de l’Université à proximité de votre
ville ! Quelques malfrats apprennent par cœur un maximum de noms d’Universités
pour vous dire « justement, ma
belle-sœur s’apprête à étudier là-bas et
elle serait ravie de discuter avec vous, elle habite à deux pas d’ici en taxi ... »
Et les warning se mettent à clignoter
...
Sans tomber dans la paranoïa, ces
filouteries ordinaires n’empêchent nullement les gens d’être honnêtes dans leur
immense majorité. Mais ce n’est pas faire offense que d’affirmer qu’il ne faut jamais
croire aveuglément une personne locale (qui répond souvent « oui »
même si elle ne comprend pas une question). Simplement une question de prudence
et de bon sens.
Les canons de la beauté
Il m’arrive parfois de regarder
la télévision locale en faisant toujours Le même constat: dans les émissions,
les séries et les publicités, toutes les personnes « starifiées »
sont occidentalisées et ne ressemblent plus à Monsieur et Madame Toutlemonde.
Le teint est blanchi, le nez un peu plus fin, le visage plus ovale, les cheveux un peu moins noirs...
Il ne s’agit plus de sélectionner
ces personnes sur les critères de beauté ancestraux qui correspondent à la
morphologie de la population, mais bien de transformer cette morphologie pour
qu’elle corresponde aux critères de beauté occidentaux.
Ce constat m’attriste même s’il
ne semble pas traumatiser la jeunesse asiatique. L’apparence occidentale
devient un signe extérieur de réussite et de modernité.
Quel dommage que la beauté
s’uniformise alors qu’il y a tant de diversité dans le monde !
La gentillesse : la plus belle des qualités.
Combien de fois ai-je pu écrire sur
la gentillesse des gens ? J’ai des exemples dans quasiment tous les
pays : un Costaricien m’invite à dormir chez lui dans un bidonville, des
Colombiens n’hésitent pas à m’accompagner jusqu’à ma destination, des
Indonésiens m’invitent à manger chez eux... J’en oublie !
Est-il absurde d’affirmer que les
habitants d’un pays pauvre (au sens PIB/habitant) sont plus gentils et
conviviaux que ceux d’un pays
riche ? C’est une question qui me turlupine depuis quelques temps en me
méfiant des raccourcis simplistes à l’image du « bon petit nègre » de
Tintin au Congo...
Mon expérience de voyage n’a pas
la prétention d’établir de vérités statistiques. J’ai parcouru majoritairement
des pays « pauvres » ce qui ne signifie nullement malheureux. Il m’est
donc déjà difficile de comparer avec les pays dit « riches ». Je peux
néanmoins prendre la France en point de comparaison sans oublier que la France
n’est pas Paris.
La gentillesse que j’ai pu
constater est bien évidemment envers le touriste que je suis et non dans
l’absolu. Il m’est arrivé - très rarement - d’être mal accueilli ou même de frôler
« l’incident diplomatique suite à désaccord » ... Ma
mémoire sélective oublie facilement ce genre de mésaventure ce qui contribue
également à une vision plus idyllique. Pour autant, je ne peux pas renier avoir
rencontré une vraie gentillesse dans les pays traversés.
La première corrélation n’est
sans doute pas à chercher dans la pauvreté mais dans l’absence d’insécurité. En
dehors des zones non sécure - généralement bien identifiées et limitées – j’ai
souvent pu constater l’absence totale de délinquance. Sur le marché, des
liasses de billets traînent sur une table alors que sa propriétaire papote
quelques mètres plus loin. Les casques restent simplement posés sur le scooter
garé sans surveillance, j’ai rarement vu des maisons fermées à clef, et le
commerçant n’hésite pas à s’absenter de ses locaux, parfois longuement en
laissant la porte ouverte ! (« y’a
quelqu’un ??? ») Donner du temps, un repas, l’hospitalité, un
renseignement, un sourire à l’autre, surtout à un inconnu, présuppose de ne pas
en avoir peur. Ouvrir et s’ouvrir à un inconnu me parait difficilement
compatible avec une clôture de 2 mètres, un portail, un visiophone, une porte
blindée, une serrure 6 points de sécurité (agréé par les assurances), une
alarme reliée au pc de surveillance, un gardien et le labrador qui ne comprend
toujours pas pourquoi on le qualifie de « chien méchant » !
Je suis également convaincu du
rôle positif de la religion sur la gentillesse. Que ce soit la chrétienté en
Amérique du Sud et Philippines, ou la religion musulmane en Indonésie,
l’omniprésence de la religion et la fervente piétée – dénuée de tout extrémisme
– restent un moteur dans l’ouverture à l’autre. Aux Philippines, j’ai voulu
assister à une messe à Manille... L’église était archi-comble et des centaines
de personnes suivaient l’office sur des écrans géants à l’extérieur ! En
Indonésie, les femmes et les jeunes filles, foulard sur les cheveux,
m’invitaient en rigolant à m’assoir avec elles pour
partager leur repas !
Par opposition à notre conception
individualiste, l’organisation de la vie quotidienne en cellule familiale ou
communautaire, ainsi que la traditionnelle patience asiatique peuvent également
expliquer la sociabilité, vecteur de gentillesse. Je reste néanmoins
circonspect sur cet élément, sachant que les styles de vie évoluent très
rapidement, surtout en Asie du Sud-Est, et que politesse intéressée (souvent
même cupide) ne signifie nullement gentillesse.
C’est avant tout une relation
interpersonnelle entre deux individus. Je
ne crois pas que la pauvreté (toujours au sens PIB / habitant) ait un
quelconque lien de causalité mais plutôt de simultanéité avec d’autres facteurs
explicatifs, à commencer par la simplicité de l’échange.
Cette interrogation de voyage me
renvoie finalement sur notre propre acception du terme. Comment une aussi belle
qualité a-t-elle pu aussi mal tourner ? En France, qualifier quelqu’un de
« gentil », voire même de « trop gentil » est devenu
péjoratif, limite insultant. Sans doute la complexité de nos relations interpersonnelles, teintées de concurrence
et de jugements, a eu raison du vocable. Gagner en simplicité réhabiliterait la
gentillesse comme la plus belle des qualités.
D’ailleurs, ne
dit-on pas de quelqu’un de « gentil »
qu’il est également un peu « simple »
...?
Une vérité vraie...
RépondreSupprimerQu'il serait bon de retrouver cette gentillesse, cette ouverture et ce mode de vie simple en France, c'est sûr...
Profites-en un maximum, sans craindre la réalité du retour qui saura t'apporter d'autres choses c'est certain !
Blntt
Merci à toi pour cette fenetre sur le monde tel qu il est, percu avec tes yeux, dont tu te méfies regulierement pour ne pas tomber dans les clichés. Le gaulois porte bien celui de l eternel râleur, le touriste francais fait toujours la gueule parait il...
RépondreSupprimerMerci parce que je voulais connaitre ta vision de ces pays lointains dont le quotidien m echappe completement mais dont je nourris ma culture par ta plume! Encore...!
cette attitude de gentillesse ne serait elle pas la tienne en miroir ?
RépondreSupprimeriras tu dans une fanzone demain soir ???
blague !
damien
Question pertinente que celle du miroir...
SupprimerJe me suis trouvé pour demain une auberge qui transmet la finale sur écran géant, Allez les Bleus!! Le plus dur est de garder les yeux ouverts á 2h00 du mat...